Titre : | L’obscène Travail social et transparences (2020) |
Auteurs : | Pasquet, Guy-Noël, Auteur |
Type de document : | Article de revue |
Dans : | Sociographe (n°69, 2020/1) |
Article en page(s) : | p.4-99 |
Langues: | Français |
Résumé : |
Quelle drôle d’idée de parler de la bouche !
La bouche est cet orifice métonymique (une partie du corps pour le corps entier) qu’on peut « gaver », mais qui peut aussi « (dé)gueuler ». C’est que la bouche est tout autant active que passive. Elle peut cracher, vitupérer, rendre, mordre tout comme elle peut avaler, assimiler, engloutir. Une bouche comme un sas d’entrées et de sorties. Margaret Mead (1966, pp. 81-89), dans L’Un et l’autre sexe qui fait le récit de ses observations ethnologiques en Nouvelle-Guinée sur les bords du Sepik, nous raconte la façon dont les bébés Arapesh attendent passivement que la nourriture leur tombe « dans le bec » alors que les Iatmul doivent réclamer davantage leur ration de lait et les Mundugumors carrément hurler pour obtenir la pitance. D’une bouche passive qui reçoit sans effort à une bouche active qui doit déployer toute sa puissance, c’est toute la vie sociale et culturelle des sociétés qui s’en trouve modifiée. Parce que la transposition de la bouche à la vulve est relativement facile et montre que le comportement sexuel est largement impacté par le rapport à la bouche. D’ailleurs, toutes les histoires d’amour ne commencent-elles pas par un repas où l’on mange ensemble avant de se manger ? Le contenu même des assiettes n’est certainement pas sans raconter comment, des Jardins d’Adonis, on passe au Jardin d’Éden : « Quel dangereux paradis, s’offrir à bouche “que veux-tu ?” l’extase, un incendie qui nous tue » (Brigitte, 2014). Et puis les histoires d’amour ne commencent-elles pas non plus par des baisers à pleine bouche dans le mélange des langues avant le mélange des corps ? Au fond, les mélanges de salives précèdent les mélanges génitaux : « C’était une fille sage à bouche “que veux-tu ?” J’ai croqué dans son corsage les fruits défendus » (Brassens, 1954). Elle lui dit d’un ton sévère « qu’est-ce que tu fais là ? », mais elle le laisse faire ; « les filles c’est comme ça ». Si Brassens chantait cela aujourd’hui, sûr qu’il serait « porcisé » ! Et n’évoquons même pas « Annie et ses sucettes à l’anis » de Gainsbourg (1966) interprété par France Gall. |